Lignes de fuite. LYDIA FINK / Installation monumentale



Installation monumentale in-situ au Pavillon du Dr Pierre, Nanterre, 
Nuit Blanche 2015
Peinture au pigment sur sol, murs et plafond / Lianes suspendues (tissus, dessins, peinture, branches, perles, fils de fer...). 
Dessin phosphorescent à la lessive/lumière noire 
Bande sonore : Valse de Anacosmos / Texte et voix : Vanina Langer.
Projet de fin de résidence avec SOUKMACHINES.



Lydia Fink tenait l'usine du Dr Pierre où j'ai réalisé une résidence. La sonorité de son nom a déclenché un travail in- situ sur l'espace et ses horizons infinis. Étymologiquement, Lydie évoque un pays, Fink un oiseau, alors cette absente éclaire un paysage évanescent comme un point de fuite invisible.




DEAMBULATION :









 











   

   








* Texte de la bande sonore :

"Capela,

Il fallait que cela ait lieu.

            L’espace s’est ouvert. Découvert notre paysage. Les chars à voile de Lydie courent à l’horizon, et Catela est revenu, il sautille, gai comme un pinson dans la cour du Pavillon. Moi, cachée, j’attendais que quelque chose apparaisse de mon grenier. Sous le dôme de mon château, je te regarde, Catela. Je regarde les étoiles filer. Un message, et tu parles de ta famille. Moi non, j’attends les vacances et l’infini d’un temps qui s’arrête. 

Partout, dans les failles entrouvertes entre ciel et terre et à mon plafond, il y a des écarts. Ils déploient, ici et là, des plans, en perspective, et des orientations se dessinent, un sens émerge, sous tes yeux. La salle à machine devient autre chose, je fais ce que je veux tu sais, pas que du parfum! Je me déploie, discrètement mais sûrement. Je me fonds comme Ophélie dans les Affinités électives. J’apparais, morceau de pays disparu. J’en parle à Crésus et à mes origines perdues, à ma race presque effacée. Nous possédions un horizon qui nous illimitait, il ouvrait des profondeurs. Toi, tu sautes à cloche pied, de planète en planète, pourquoi pas ? À la pointe de l’invisible, tu tends des destinations, une sorte de marelle pour les grands ? 

D’intervalle en intervalle, les pinçons battent de leurs ailes, entre proche et lointain, pulsation de ma respiration. Je suis, avec mes yeux, et dans le passage, cela fait image. Et des paysages se tissent les uns dans autres, soutenus par une unité perdue. 

Aujourd’hui, tout se présente encore à ma vue, et je suis le chemin. Penelope me tend la main et laisse tomber une ribambelle d’Ulysses de pacotille, ils volent en apesanteur et je marche dessus. Je m’aventure dans mon étendue. Mes contours flottent comme des bouées dans l’océan. Frontières qui s’amusent à se mettre à plat le long de mes bras. Mes mains sortent du paysage à la recherche d’un peu d’air. Tu gigotes et moi j’explore au-delà, je pars plus loin, un peu après. Je décolle du système solaire, de galaxie en galaxie, toujours un peu plus loin, le long d’étranges liens. Même pas besoin  de fusée, tu sais : tout cela n’est qu’une ébauche du Grand voyage, mon cher Catela. 

Des images de terre et de ciel ? Oui, mais je te demande une fable, une ligne poétique. 
Je voulais que tu crées, un espace où j’aurais pu me déployer, un instantané. Mais quelque chose m’emporte comme un bateau découlant de tous les rivages. Ton visage s’efface. Je relève ma petite tête de pinçon, même pas pour tenter l’élégance, tu sais, juste pour me souvenir de tout ce qui nous échappe. C’est peut-être cela garder les pieds les pieds sur terre, avoir conscience d’une profondeur infinie, comme un rappel à l’ordre, et puis tout fuit... Je me pose sur l’horizon et je laisse la ligne ouvrir mon corps et l’espace. La surface dans laquelle je me confonds donne une sensation d’ensemble homogène. 


On pourrait toujours découvrir d’autres pays toi et moi, on n’ira pas dans l’arrière-pays, ok, même si moi c’ était ça qui m’intéressait ; J’aurais voulu que les choses du 1er plan et du 2ème plan cessent d’être en compétition, et que tout se pose dans un beau tableau tout calme. Mais non, le fond de nos figures reste abyssal et moi un être vertical dans l’espace dispersé. Je suis la fable de moi–même. Je suis Lydia Fink. Et j’aimerais réussir à chanter pour que tu lèves enfin ta foutue tête."









L'Histoire et l'histoire :

Léo Fink a créé l’usine des Parfums Forvil au Pavillon du Dr Pierre pendant les années folles. D’origine juive, il fut déporté avec sa femme et ne revint pas. Lydia Fink, sa fille, sans doute cachée pendant la guerre, récupéra l’usine à la Libération et continua de créer des parfums ainsi que du dentifrice à la menthe poivrée jusqu’en 1969. On ne sait presque rien sur elle, à part qu’elle ne se maria pas et n’eut pas d’enfants. La seule anecdote que racontent les ouvrières (rencontrées en début de résidence), c’est qu’elle avait un amant, Mr Catela, qui teint officieusement l’usine avec elle, considéré comme le patron. Lydia Fink était réputée pour sa discrétion, son effacement. Le petit monde du Pavillon savait simplement, sans avoir jamais rien vu, qu’ils étaient amants et qu’ils partaient ensemble en vacances. Cette histoire a déclenché un texte, dit sur une valse créée par le groupe Anacosmos*, et qui était diffusée dans l'installation, sortant d’un des trous de l’ancienne salle à machines.

La résidence menée au Pavillon du Dr Pierre de Mai à Octobre 2015 a été l’occasion de développer ce travail in-situ à partir des traces, lignes et fissures du lieu. Dans mon travail qui interroge la relation de la figure et du fond dans le paysage : Lydia Fink est une sorte de figure perdue. EtymologiquementLydie évoque le pays disparu du roi Crésus, et Fink : un “pinson” en juif alsacien. Alors cette femme absente est devenue paysage, et la sonorité de son nom de roman a déclenché une fiction.
Dans mes dessins et peintures, la figure a toujours déployé un réseau de liens ou de lianes pour s’incarner dans l’espace. Ici, ce personnage-espace devient une sorte d’éclaireuse de paysages éphémères, jouant sur le perpétuel basculement du point de vue qui éclate l’espace en d’infinies images. L’œuvre monumentale ouvre des béances bleu-nuit, morceaux de ciels ou vagues, et projette des lignes vers le point de fuite mobile d'un Lydia Fink insaisissable. 



Juillet 2015 / Installation en cours. 
Début d'installation / Recherches à 4 mains avec Christelle Westphal (artiste du végétal).

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